Désordres #10

Jean-Louis Garnell



Une chambre sans ordre, ni tout à fait oscura ni tout à fait lumineuse. Tandis qu’il suit les lignes régulières du parquet pour entrer dans la pièce et remonter à la source invisible de lumière, devinée dans la fenêtre absente, le regard s’accroche au fatras des choses, erre comme en une caverne où filtre un soleil timide et hors d’atteinte. Un chemin se dessine entre le cadre et les bottes, mais passés ces obstacles, il est sans issue, et le fond la pièce se noie dans un brouillis de formes. C’est un espace confus, on se perdrait sur place, n’étaient quelques îlots précaires pour seule géographie : mégots rassemblés, bottes à proximité qui ne forment plus tout à fait leur paire, un tas de vêtements au bord de l’effondrement. L’entropie du quotidien dissipe les fonctions et les formes sans les annuler tout à fait : vêtements en chiffons, fauteuil encombré, bouteille dans l’absurdité de son vide.
Aux photographies qui s’ingénient à dévoiler l’ordre caché des choses, à révéler leur structure profonde, à sauver le monde de la dispersion, celle-ci oppose une ambition plus modeste, et déjoue ainsi le mensonge ordinaire de la chambre noire : à quoi bon feindre l’ordre quand la vie même est chaos, déploiement de force, foisonnement excédant tout ordre possible, mais aussi gaspillage d’énergie, dépense et perte irrémédiables, comme un peu de mort au cœur de la vie ?
Tel pourrait bien être le dilemme photographique qu’évite cette image : ou bien la lumière et la limpidité des contours, au prix de la rigidité des formes et de l’aveuglement, ou bien la vie des choses, au prix d’un peu de confusion et d’une part de ténèbres. De quelle vérité est donc capable une photographie ? Il n’est pour elle qu’une voie médiane, médiocre peut-être : désigner, tout au plus, dans le clair-obscur d’ici-bas.


© Etienne Helmer     



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